L'évolution des patronymes au cours des siècles
Sommaire histoire.
 
Le destin peu commun du nom propre
 
Nom de renom, nom du père, surnom dû au métier, nom stigmate :
un ouvrage collectif pour tout savoir sur les turbulences onosmatiques¹.
 

« Le patronyme : histoire, antrhopologie, société »
Sous la direction de Guy Brunet, Pierre Darlu et Gianna Zei
CNRS 2ditions, 422 pp., 28 € (183,67 F).

 
Il y a cet homme, originaire d'Alsace-Lorraine, qui s'appelait Lagarde et qui, au gré des conflits entre l'Allemagne et la France a été renommé Wache, Vache, Kuhe, et finalement Ku.
Il y a aussi cette femme qui vivait en Sardaigne au XVIIe siècle et qu'on appelait Dominiga Delogu Foj Guiso Tolu Vedele. Comme beaucoup de ses voisines, elle accumulait dans son identité trois noms de la lignée maternelle et deux de la lignée paternelle. A l'époque, en Sardaigne, le nom de la mère était plus souvent transmis que le nom du père. Il faudra attendre le XVIIIe pour que l'île adopte un système patrilinéaire. Mais pas totalement: le système de filiation reste «jusqu'à nos jours, marqué par une sorte de turbulence onomastique» (1), explique l'historienne Gianetta Murru Corriga.

Le patronyme est un passionnant ouvrage collectif qui réunit les contributions de sociologues, démographes, historiens et même généticiens, puisque le patronyme, transmis comme le chromosome Y, par le père, est aussi un outil de génétique des populations qui permet de «suivre les migrations», explique l'anthropologue Pierre Darlu.

En découvrant les liens de parenté dans la vallée d'Azgour au Maroc ou l'étonnante répartition des patronymes dans la petite île de Bornholm au Danemark (les Pedersen n'habitent jamais au même endroit que les Petersen), on comprend que le patronyme «identifie une filiation et donc une identité temporelle», mais aussi une appartenance à une région et à une culture. On apprend que la Chine n'a que 1054 patronymes, la plupart d'entre eux vieux de quatre mille ans, et qu'ils ont été transmis par voie matrilinéaire jusqu'à ce que, il y a deux mille cinq cents ans, un décret impérial impose la transmission par le père.

On apprend aussi que la répartition des noms dans un pays évolue avec le temps. En France, 35 % seulement des patronymes qui commençaient par «Tra...» en 1800 existent encore. Les Traitahuile ont disparu, remplacés par les Traboulsi. De même, au Québec, les noms les plus répandus sont encore Roy et Tremblay, mais le nom le plus fréquent chez les nouveau-nés est aujourd'hui N'Guyen.

Le patronyme est aussi un enjeu social. Il suffit de voir les résistances qui apparaissent lors de l'attribution de noms à ceux qui en étaient dépourvus. Quand, entre 1817 et 1833, les serfs des Pays baltes sont émancipés, on leur interdit de prendre les noms «de familles de renom» et on craint qu'ils choisissent des noms à sonorité allemande ou polonaise, portés par la bourgeoisie. Peurs infondées, remarque Andrejs Plakans. Les ex-serfs prennent des mots de la vie rurale (Abols, pomme), de métiers (Kalejs, forgeron) ou de qualités (Celais, fier). De même, remarque l'historienne Priska Degras, quand, en 1848, l'esclavage est aboli dans les territoires français et que le pouvoir central décide de donner un nom aux hommes émancipés, les anciens propriétaires font tout pour que les esclaves et leurs descendants restent marqués à jamais en leur donnant des noms ridicules, infamants ou bizarres: Misère, Malade, Jupiter, Goliath, Boue, Gigot, Néant, Congo...

La gestion des patronymes révèle souvent l'idée qu'une nation se fait d'elle-même. Il arrive, explique la sociologue Nicole Lapierre, que le nationalisme s'en prenne aux noms afin de faire disparaître «toute trace d'origine». C'est Mussolini (1928) décrétant l'italianisation des noms du Tyrol italien ou Todor Zivkov (1959) la bulgarisation des noms des minorités, notamment turcophones. Mais il arrive aussi que, «par une démarche inverse, érigeant la différence en infranchissable barrière», on oblige à garder des noms qui deviennent alors de «véritables stigmates». En 1938, l'Allemagne ordonne le retour aux noms juifs changés avant 1933. Une loi complétée en 1939 par un décret «imposant les dénominations Israël et Sara à tous les juifs dont les prénoms ne figuraient pas sur la liste des prénoms dits distinctifs [...] Ce n'était que le début d'un implacable cheminement» jusqu'aux camps où «seuls les numéros [...] inventoriaient ceux à qui était déniée toute humanité.»

Dans la France de 1927, lors du vote de la loi sur la naturalisation, on voit d'un côté ceux qui présentent la francisation des noms étrangers comme une protection contre la xénophobie et un moyen de parfaire l'assimilation. De l'autre, ceux qui parlent de «loi de camouflage» permettant aux «métèques de se cacher sous des noms français».

La francisation des noms est devenue un droit. C'est aussi une liberté vécue comme un risque de trahison. Beaucoup gardent leur nom d'origine parce que «l'attachement aux noms de famille est, à l'évidence, plus fort que les [...] tentations d'assimilation onomastique», remarque Nicole Lapierre. Ainsi, la proportion croissante de «naturalisés d'origine maghrébine (4 à 6 % dans les années 1960... 35,7 % en 1991) ne se traduit pas par une progression parallèle des francisations de noms arabes.»

Et même si la plupart de ceux qui, depuis cinquante ans, ont francisé leur nom affirment ne pas le regretter, le contrecoup menace la génération suivante. «Le désir de parents de projeter leurs enfants dans un futur sans antériorité, débarrassé des souffrances mais aussi des références anciennes, laisse parfois ces derniers, interdits, dans la trouée des filiations.»

 
1 : Qui concerne l'origine des noms propres.

Par Natalie LEVISALLES, jeudi 03 janvier 2002


A venir...