L'évolution
des patronymes au cours des siècles
|
![]() |
« Portemanteau : lourd à porter » |
Entretien avec Guy Brunet, du Centre d'études démographiques
(CNRS-Lyon). Il est un des trois codirecteurs de l'ouvrage. |
Comment vous êtes-vous intéressé aux patronymes? Je travaillais sur les enfants abandonnés de la région
lyonnaise aux XVIIIe et XIXe siècles plus de 1000 enfants
par an à l'époque et je me demandais comment on nommait
quelqu'un qui n'avait pas d'identité familiale. En regardant les
milliers de noms donnés par les institutions charitables qui accueillaient
ces enfants, j'ai découvert qu'on observait deux comportements. A quoi sert un patronyme? Si vous voulez désigner quelqu'un, il faut vous être mis d'accord sur un nom. Tant que la communauté est réduite et que chacun connaît son voisin, on peut se contenter d'un prénom. Dans une société qui compte des milliers d'individus, ça ne marche plus. Au Moyen âge, pour distinguer les différents Jean et les différents Pierre, on a commencé à ajouter quelque chose. Un surnom qui, en général, renvoyait à une caractéristique physique (Le Grand), professionnelle (Du Moulin) ou géographique (Du Val). Au cours d'un processus qui a duré deux siècles, ces surnoms sont devenus des patronymes, c'est-à-dire qu'ils se sont transmis. Il arrive encore qu'on surnomme des individus, mais ça n'apparaît plus à l'état-civil. Auparavant, les noms évoluaient; maintenant ils sont figés. Aujourd'hui, dans une ville ou un pays de plusieurs millions d'habitants, le patronyme ne suffit plus. Il faudrait un troisième, un quatrième, un cinquième critères. Pour reconnaître un individu, on a donc trouvé un identificateur différent pour chacun: un numéro. En France, le numéro d'identification universelle de l'Insee fait que deux individus ne peuvent jamais avoir le même numéro. A la limite, le nom est devenu un sous-produit qui n'est plus nécessaire au fonctionnement de la société. Que dit le patronyme? C'est un nom qui signale une lignée sur plusieurs générations. Un monsieur Dumoulin porte le patronyme d'un homme qui se trouve 20 générations au-dessus de lui. Le patronyme permet de fixer une lignée familiale dans une population à effectif important, elle vous rattache à tout un système de parenté. Bien sûr, il y a inégalité entre les sexes. Le patronyme est le nom du père. En rattachant à la branche paternelle de la parenté, il coupe de la branche maternelle. Mais ce n'est pas universel. En Chine il y a trois mille ans, et en Sardaigne, jusqu'au XVIIIe siècle, c'est le matronyme qui était transmis de manière privilégiée. Il y a ensuite eu cette grande parenthèse qu'est le triomphe du patronyme. Mais aujourd'hui, on voit à nouveau émerger, dans les sociétés occidentales, prenant appui sur les mouvements féministes, une volonté de transmettre le nom de la mère. En France, la loi votée en février dernier permet aux parents de donner le nom du père, de la mère, ou des deux, à leurs enfants. Au Québec, cette possibilité existe depuis vingt ans. D'abord utilisée par les francophones, elle gagne maintenant les autres milieux. L'histoire du patronyme doit être perçue dans le long terme. Et cette histoire est loin d'être finie. Y a-t-il un droit au patronyme ? Un des droits de tout citoyen est d'avoir un patronyme. Il n'y a pas de citoyenneté concevable sans identification. D'une certaine manière, avoir un patronyme fait partie des droits de l'homme. Cela fait aussi partie des risques. Avec un patronyme, on est repérable par le pouvoir politique. |
Par Natalie LEVISALLES, jeudi 03 janvier 2002 |
|
|
![]() |
|